Depuis début juillet se tient à Monaco l’exposition Francis Bacon, Monaco et la culture française conçue par Martin Harrison, coordinateur d’un monumental Catalogue Raisonné de l’oeuvre de Bacon paru il y a quelques mois* et recensant plus de 600 toiles du peintre, soit de nombreuses oeuvres rares ou même inconnues comme l’Etude de taureau ci-dessus (1991). Les occasions de voir des Bacon en France (ou presque) étant peu nombreuses, c’est un événement tout à fait considérable.
Comme toujours sous verre et pourvues d’un cadre (souvent doré) selon la volonté du peintre, les toiles ne sont pas présentées dans l’ordre chronologique, ce que l’on peut regretter car l’un des intérêts d’une rétrospective est de rendre sensible le parcours de l’artiste. Autant l’on pouvait comprendre les choix thématiques de la belle exposition du centenaire à Londres en 2008-2009, qui visaient à mettre en lumière des aspects peu étudiés (en particulier la section Epic pour l’inspiration littéraire), autant les continuels va-et-vient d’une époque à l’autre égarent ici le visiteur non spécialiste. Sans doute l’orientation de l’exposition (le rôle de la « culture française ») les explique-t-elle, quoique sans les justifier à mon avis. On passe donc sans transition d’un ensemble de toiles des années 50 à une étude de portrait de 77, d’un tableau de 89-90 (Man at a washbasin) à un nu assis de 62 sans comprendre comment Bacon a pu changer de style et pour ainsi dire s’abandonner lui-même à ce point. L’exposition de Sydney (Five Decades, 2013) en tentant une périodisation par décennies, évitait cet écueil.
La richesse de l’exposition et la qualité de l’accrochage sont telles cependant qu’il ne faut pas manquer cette occasion d’approcher l’oeuvre de Bacon, d’en scruter, parfois dans une même toile, la facture, tantôt vernissée, presque émaillée, tantôt rugueuse et empâtée, portant la trace du pouce ou celle d’une étoffe appliquées sur la peinture fraîche. Il faut être devant les portions de toile laissée nue pour en percevoir le grain, la surface pelucheuse contrastant avec une surface peinte parfaitement lisse comme dans l’Etude de taureau.
Le contraste, voire la contradiction, sont au coeur du travail de Bacon. Même pour qui, comme moi, cherche à en pénétrer le contenu, le contact avec l’oeuvre est indispensable.
* Le prix de cet ouvrage en 5 volumes dépassant les 1400 €, je ne l’ai pas encore consulté. Espérons que la BnF ou la BPI en feront l’acquisition.