Voici, comme dans l’article précédent, quelques captations du film de Sylvie Blum. L’idée est de restituer dans la mesure du possible le propos lui-même (la légende des photos) avec ce qui l’accompagne : regards, posture, gestes, cadre. Par commodité, j’opère des regroupements qui peuvent reprendre ou non les mots-pistes lancées par Sylvie Blum. J’y ajoute quelques réflexions recoupant ou prolongeant ce que j’ai pu écrire par ailleurs, notamment dans L’atelier Michon.
AUTOBIOGRAPHIE
L’image ici, avec sa légende (« l’autobiographie ») renvoie à la maison natale des Cards, où est tourné le documentaire. L’intention n’est nullement descriptive, on ne saura guère à quoi ressemble ce lieu, que sa version mythique a de toute façon précédé, du moins pour le lecteur de Vies minuscules). C’est de là qu’a surgi la révélation que la voie n’était pas à chercher au-dehors, selon la prescription des maîtres (en particulier l’usage de la troisième personne par Kafka). Les tentatives antérieures au premier livre ont échoué parce qu’il fallait en passer par la première personne, même déguisée. Non pour faire un quelconque « récit de vie », même si les « données » biographiques importent. La « corne de taureau » leirisienne, est toujours là, rien n’est jamais résolu. Il s’agit de comprendre d’où on écrit, dans quel risque permanent (et nécessaire) d’échouer.
ECRIRE
Longtemps l’aspirant écrivain mis en scène dans Vies minuscules a cru que, comme pour son « double » Roland Bakroot, la littérature se déroberait toujours, que la langue lui serait toujours étrangère. Crainte exprimée vers la fin du livre, à une période où l’Ecrit lui a été donné. « Coquetterie » ou superstition?
LE « SECRET DU MONDE«
Ecrire pour un auteur comme Michon, c’est établir un contact avec le monde, pour en « rendre compte ». Avant Vies minuscules, son « seul contact avec le monde était un isolement pathologique » comme le lui a fait comprendre la lecture d’Absalon, Absalon! de Faulkner. Les épisodes où le monde fait signe sont parmi les plus intenses de Vies minuscules : la transfiguration de la grand-mère maternelle un matin dans une chambre ressemblant à un tableau de Van Gogh, l’apparition dans un jardin de banlieue de la « petite morte » rimbaldienne.
CRIME / FAULKNER /DOSTOÃEVSKI
« Un petit truc autobio » : Michon se souvient qu’avant Vies minuscules, il était terrifié à l’idée de devenir un criminel. Qu’écrire vienne « à la place » d’un crime et « sauve la vie », ce n’est pas seulement vrai pour lui puisqu’il se pose la question à propos de Faulkner (« un meurtrier qui n’a pas tué) et de Dostoïevski.
LA MÈRE
Le poème que Michon dit devant le corps de sa mère est la Ballade des pendus de Villon
Frères humains, qui après moi vivez
N’ayez les coeurs contre moi endurcis
Car si pitié de nous pauvres avez
Dieu en aura plus tôt de vous merci.
LE PÈRE
C’est-à-dire l’Absent. Michon partage avec Sartre la jubilation d’être sans père, tout en étant conscient d’une anomalie dangereuse. Il n’a jamais voulu connaître son père, a refusé son héritage quand il est mort. Mais il rappelle qu’il était borgne comme Hannibal, Philippe-Auguste ou Mosché Dayan) et que sa grand-mère – qui ne lui parlait jamais de lui – lui interdisait de jouer au lance-pierre car c’est ainsi que son père avait perdu un oeil.