Nul ne conteste que Bacon soit un peintre figuratif mais il importe de faire la part de ce qui dans sa démarche se veut « offensif », dirigé principalement contre sa bête noire l’Abstraction – et plus « défensif » : se démarquer de la figuration « dans son acception la plus courante » à laquelle « tenter de revenir » ne saurait donner qu’un résultat « extrêmement faible et vraiment dépourvu de sens[1]». Ce degré zéro de la figuration, naïve, « littérale », « illustrative », inconsciente des écueils qu’un grand artiste se doit d’éviter, ne peut concerner aucun artiste digne de ce nom mais a l’avantage pour Bacon de servir de repoussoir.
Cependant son dilemme est réel : comment ne pas basculer dans l’abstraction honnie sans une dose de « littéralité » et d’ « illustration », pour reprendre ses termes ? Les peintres qu’il admire n’ont pas eu à se poser la question et il les envie pour cela, comme il le confie à Sylvester : « on aimerait […] faire cette chose qui consiste simplement à se promener au bord du précipice et, chez Vélasquez, c’est une chose très, très extraordinaire qu’il ait pu se tenir si près de ce que nous appelons »l’illustration » et en même temps ouvrir entièrement aux choses les plus grandes et les plus profondes qu’un homme puisse sentir »[2]. Van Gogh aussi lui a semblé « capable d’être presque littéral » tout en donnant « une merveilleuse vision de la réalité des choses »[3].
« I believe that art is recording ; I think it’s reporting«
La singularité de la peinture de Bacon est telle que l’on peut trouver nécessaire de l’« arracher au figuratif » afin de la dédouaner de quelque coupable penchant régressif [4]. Mais le risque est alors en coupant de l’oeuvre de son héritage d’en sous-estimer la modernité, au sens plein du terme. On sait qu’à travers notamment la notion de « figural » (empruntée à Lyotard), Deleuze a cru pouvoir définir une « troisième voie » : celle d’une figuration « qui ne serait pas figurative ». Or par son ancienneté, l’exemple qu’il donne (L’Enterrement du comte d’Orgaz du Greco date de1586) suggère que Bacon n’a fait qu’emprunter à sa façon une voie particulière de la figuration (peut-être plus étroite), déjà frayée par d’autres : Velasquez et Rembrandt, Van Gogh surtout mais aussi Le Titien et même Ingres, pour ne mentionner que quelques-uns de ses peintres de prédilection.
C‘est d’ailleurs lorsqu’il tente d’expliquer ce qui le fascine dans leur art, que Bacon s’approche le mieux d’une définition de sa propre quête : enregistrer le visible mais en le réinventant et ainsi produire, comme il le dit à Sylvester, « beaucoup plus que de l’enregistrement [5] ». Mais les procédures mimétiques liées à la dose d' »enregistrement » ou de « littéralité » indispensable à son projet lui paraissent extérieures aux affects et mécaniques, même s’il sait qu’elles ne l’étaient pas pour ses prédécesseurs. C’est ce qui lui fait souvent dire que quelque chose a changé (il attribue un peu vite ce changement à la photographie) et qu’il faut désormais trouver d’autres façons d’enregistrer, nécessité que les abstraits ont cru à tort pouvoir éluder [6] : « I believe that art is recording ; I think it’s reporting [7] ». L’importance de cette faculté de l’ancienne mimésis – dévaluée aujourd’hui – est telle à ses yeux qu’il n’exclut pas qu’un jour le moyen soit trouvé de devenir « aussi précis dans l’enregistrement que l’était Velasquez » [8]. Bacon appelle encore cela « rendre » l’apparence, lui trouver un « équivalent [9] » sans que cela ait un « caractère illustratif »[10]. Le but ne fait donc pour lui aucun doute mais il ne sait pas comment y parvenir : « Pour moi, le mystère de la peinture aujourd’hui est la manière dont l’apparence peut être rendue[11] ».
Mais plus le « faiseur d’images[13] » qu’a toujours voulu être Bacon insiste sur cet aspect, plus il lui faut – en mettant en avant l’inventivité de l’« enregistrement » tel qu’il le conçoit – prendre ses distances avec le spectre de l’académisme associé à la stricte imitation : un dessin exact, des couleurs fidèles, ce qu’il appelle péjorativement « les données illustratives de l’image [12] ». Or c’est encore chez les maîtres du passé que l’on rencontre l’usage non mimétique de la couleur, les effets de « texture » et surtout l’art d’atteindre indirectement la ressemblance par ce que Bacon appelle la « coagulation de marques non représentatives [15] », qui permet, à l’aide de taches apparemment hasardeuses, d’obtenir la ressemblance des paupières, du nez ou de la bouche à l’aide de formes n’évoquant nullement ces organes [16]. Ainsi Rembrandt composant, dans l’un de ses autoportraits, une paupière criante de vérité ou Seurat chez qui, souligne Russell, « l’image est vacillante : c’est un papillon pas encore pris au filet, mais si près de l’être qu’on peut déjà l’imaginer capturé et épinglé. Pour Bacon, ces moments où l’image peut aller d’un côté comme de l’autre sont de vrais trésors. À de tels moments, chez Seurat, la même touche peut signifier aussi bien une feuille d’arbre qu’une oreille de singe [17] ».
C‘est une banalité de dire que les grands peintres communiquent leur vision au travers de formes qui peuvent n’être pas strictement mimétiques. Le tableau du Greco cité par Deleuze juxtapose deux visions, l’une mimétique, l’autre irréaliste et visionnaire. Le Greco se « libér[e-t-il] de toute figuration » (Logique de la Sensation, p. 18) dans la seconde ou use-t-il au contraire de celle-ci pour faire exister avec force ce qui n’appartient pas à ce monde ? Sauf à envisager la figuration comme la copie conforme d’un original préexistant, conception réductrice jusqu’à la caricature et néanmoins très répandue, il n’y a dans la représentation du Christ et des saints de la partie supérieure du tableau rien d’ « extrême » [18] . Seuls l’espace et la façon dont les figures y sont disposées sont irréalistes, Le Greco ayant cherché à créer, par contraste avec les personnages assistant à l’enterrement, un univers certes vaporeux et foisonnant, illimité et sans pesanteur mais qui n’aurait pu être imaginé sans les moyens (les mêmes exactement) mis en oeuvre pour la partie basse.
Pour les artistes admirés de Bacon, la figuration allait de soi . Désormais « hors tradition », l’artiste doit la légitimer d’abord contre l’abstraction, cette « chose esthétique »[19] qui élude l’énigme de l’apparence. Mais il lui faut aussi faire usage du repoussoir dont il a été question tout à l’heure, de la « littéralité », sorte de « réalisme objectif » dont Michel Leiris a souligné dans son Journal qu’on la cherche en vain même chez les artistes considérés comme naturalistes, selon lui inévitablement subjectifs[20]». Il y a en effet, selon les époques et les artistes, tant de façons d’être (ou de paraître) « littéral » qu’on se demande ce que veut dire Bacon quand il explique à Sylvester qu’il pourrait « très bien [s]’asseoir et faire de [lui ] un portrait littéral ». Quelle est cette littéralité avec laquelle il « rompt toujours » car « elle n’a pas d’intérêt» [21] , tout en s’émerveillant de celle de Velasquez ?
On ne sait pas ce que c’est
On peut répondre que c’est la mimésis. Proche de Giacometti, Bacon ne peut ignorer que rien ne va moins de soi que de copier « que l’on voit ». Non seulement il est inexact – à moins de se limiter à certains seulement des genres picturaux – que « le figuratif (la représentation) implique […] le rapport d’une image à un objet qu’elle est censée illustrer [33]» mais ce rapport lui-même est d’une complexité vertigineuse que Jean Clair, récusant la « feinte évidence » du visage, décrit remarquablement dans Autoportrait au visage absent : « La figuration, en particulier celle de la tête, le visage, la face, les traits, la physionomie, le voult, quel que soit le nom qui essaie d’en cerner la feinte évidence, loin d’être une donnée de fait, une »réalité » qui va de soi, dont »on sait bien ce que c’est », inscrite qu’elle serait dans l’ordre naturel des choses et qu’il serait donc oiseux d’interroger encore, c’est bien en effet ce qui, tout à l’inverse, est le lieu d’une problématique, sans cesse relancée, une catégorie toute pétrie de fantasme et d’imaginaire, un creuset dans lequel viennent se fondre les rapports les plus singuliers que chacun entretient avec soi et avec les autres, irréductibles à toute définition objective, à toute réduction à des termes d’anatomie ou de physiologie.»
Le moins que l’on puisse dire est que la soumission revendiquée de Giacometti (ou de Cézanne) à l’égard du visible n’a pas donné de résultats photographiques. Que cherche alors Bacon pour qui le monde visible et l’être humain jouent un rôle central, ce qui, justement, lui fait constamment frôler l’« illustration » honnie? Qu’est-ce qui lui paraît manquer cruellement à une image « littérale » ? On sait bien que l’« intérêt » ne viendra jamais pour lui d’une reconstruction arbitraire comme en produisent les cubistes. Son souci de la ressemblance le détourne d’une telle option : « ça ne rime à rien de faire le portrait de quelqu’un s’il n’est pas ressemblant» [22] , précise-t-il à David Sylvester, distinguant cette qualité, qu’il ne sait comment obtenir mais à laquelle il tient par-dessus tout [23], de deux facilités opposées : l’exactitude documentaire et la (trop) libre fantaisie. Lui veut figurer et non, comme selon lui Duchamp, produire des « symboles » ou une « sténographie du figuratif [24]». Mais, confronté à ce qu’il appelle « l’ambiguïté des apparences », il lui faut mettre au point « un moyen d’enregistrer » également ambigu[25], capable de transmettre la « sensation » dans son immédiateté, son « mouvement pathique, non représentatif » (Deleuze, p. 47).
Enregistrer : comment ?
Dans cette dialectique, la netteté du décor environnant et même des accessoires, « rigoureusement modernes et posés avec une objectivité d’épure » (Leiris, ibid.), joue un rôle déterminant. Car plus la sensation est intense, plus grand est son pouvoir de brouillage et plus nécessaire alors l’élaboration formelle de façon à « faire passer l’image de façon plus aiguë plus précise[26]». Sans cette tension, pas de vraie peinture : de la « décoration » tout au plus ou du « chaos », comme l’a bien vu Deleuze. Et bien sûr, ce n’est pas qu’une affaire de technique : si l’audace des procédés baconiens est réelle, elle n’est jamais une fin en soi comme pourraient l’être les « techniques d’avant-garde » dont le peintre aime à se moquer [27]. Certes, Bacon n’a pas hésité à peindre sur l’envers non apprêté des toiles, aggravant la surface rêche par un brossage brutal destiné à faire pelucher les fibres pour qu’elles accrochent le pastel ou la peinture pulvérisée[28] ou à frotter de sa manche la peinture fraîche, à utiliser tout ce qui lui tombait sous la main (brosses de chiendent, balayettes, et autres « outils hors-normes »). Mais ses pratiques les moins orthodoxes (projection, frottement, grattage, application de tissu ou d’éléments non picturaux) ont une visée qui peut même être ouvertement mimétique comme l’application sur la toile de poussière ramassée dans l’atelier, Bacon expliquant que rien ne vaut ce matériau pour rendre le sable (de Sand dune) ou la flanelle pelucheuse d’un pardessus gris[29]. Même l’importance donnée à l’accident et à l’aléatoire est indissociable de l’insistance sur la maîtrise. Tout en prétendant que sa femme de ménage aurait pu effectuer les giclées finales de peinture blanche présentes dans de nombreux tableaux, Bacon a admis qu’elle n’aurait pas su comment s’y prendre. Ou bien cela aurait ressemblé aux « hasardeuses peintures de l’expressionnisme abstrait », ajoute-t-il avec sa malice habituelle, profitant de l’occasion pour réaffirmer son peu d’intérêt pour les droppings de Pollock, jugé très inférieur à Michaux, dont les marques libres « renvoient toujours à l’image humaine, une image humaine qui généralement se traîne et chemine péniblement à travers des champs profondément labourés [30]». Ainsi, loin d’être aléatoire, l’application des « marques libres » (par exemple les taches elliptiques qui figurent sur les tableaux de la dernière période ou les ronds obtenus avec une soucoupe ou un couvercle de poubelle) est-elle soumise à des contraintes intérieures et à une vision, voire à un « sens critique [31]» qui n’appartient qu’à l’artiste[32].
D’autres caractéristiques de la peinture de Bacon sont souvent interprétées comme relevant d’une volonté de donner le pas à l’intériorité sur la représentation, notamment le fait de travailler aux portraits de mémoire et non en présence du modèle, jugé « inhibant ». Bacon a expliqué qu’il ne recourait pas à la pose traditionnelle dans l’atelier parce qu’elle ne lui convenait généralement pas[34], non pour contrer les pièges de la représentation. S’il a peint surtout des proches, c’est parce que le portrait, qui se veut réinvention et dévoilement, se construit mieux pour lui à partir d’un « stock » d’images intérieures, chargées d’éléments émotionnels qui ne seraient peut-être pas libres de se manifester si le modèle était physiquement devant lui. L’essentiel n’est d’ailleurs pas dans ces idiosyncrasies mais dans ce qui pour Bacon reste le but de tout « grand art » : « une manière de concentrer, de réinventer ce qu’on appelle réel, ce que nous savons de notre existence […] en déchirant les voiles que le réel acquiert avec le temps. […] Les artistes vraiment bons déchirent ces voiles [35] ».
Ce que la toile nous montre, nous ne l’avons jamais vu et pourtant nous « reconnaissons » Leiris ou une rue de Soho, ou nos hantises. Les données de la vie ne comptent pas pour l’artiste, elles ne sont qu’une occasion de mettre à nu son génie », a dit Proust (aimé de Bacon). Que le modèle soit ou non devant lui, qu’il « existe » ou non, le peintre l’annexe à son propre monde. La création est d’ailleurs un procès dialectique, l’« occasion » étant inessentielle mais nécessaire car sans la rencontre avec la réalité dans sa particularité inédite, on n’obtient que « des images abstraites, languissantes et fades [36] ».
La question de l’« illustration » se révèle ainsi une fausse question. Selon la belle définition de Gaétan Picon, l’œuvre la plus figurative (quand elle est réussie) est la « naissance imprévue de ce qui n’était pas, amalgame inédit et indécomposable du vu, du vécu et du fait [37] ». Et cette naissance suppose une longue maturation et une élaboration extrêmement complexe, chez Bacon comme chez tout grand artiste, même si l’on a prétendu qu’il ne dessinait pas, qu’il appliquait directement les couleurs sur la toile. Une légende que, cette fois, le peintre n’a pas voulu accréditer : à Sylvester trouvant « exceptionnel » qu’une œuvre aussi sophistiquée se fasse sans dessins préparatoires, Bacon a révélé qu’il effectuait au contraire toutes sortes de tracés avant de peindre[38]. David Sylvester parle d’esquisses qu’il n’aurait pas exposées de crainte peut-être que « leur mise au jour ne rende caduque sa thèse de l’importance de l’improvisation sur la toile » (Francis Bacon, éditions du Centre Pompidou, 1996, p. 20). De toute façon, la composition des triptyques, faite de savants rappels de couleurs et de contrapposti presque systématiques, ne se conçoit pas sans projet préalable, même si l’on n’a pas trouvé en effet beaucoup de dessins ou de croquis. On sait – Bacon a souvent insisté lui-même sur ce point – que l’exiguïté de l’atelier ne lui permettait pas d’avoir en même temps sous les yeux les trois panneaux. L’absence de préméditation est donc absolument impensable[39].
Bacon a cherché toute sa vie, version après version, à perfectionner le traitement d’un nombre limité de « sujets ». Chaque « étude » pouvait ainsi jouer pour la suivante le rôle d’esquisse, surtout dans le cas des « séries », ce qui explique que Bacon ait voulu avoir à sa disposition les photographies de ses œuvres : une fois sorties de l’atelier, elles devenaient des matériaux (presque) comme les autres. Il les épinglait sur ses murs et se resservait régulièrement de tel ou tel motif. Le catalogue de l’exposition du Centennial à la Tate donne à ce sujet des exemples tout à fait significatifs comme les modifications importantes apportées à la composition d’une de ses Corridas [40] ou la reprise de sa Figure accroupie. Michael Peppiatt a été jusqu’à regretter une tendance à l’« auto-cannibalisation dont souffrira de plus en plus l’art de Bacon » (Francis Bacon, p. 257). On est loin du mythe de l’artiste tout entier livré à ses sensations du moment puisqu’il s’agissait pour lui de mettre au point, en les affinant, les éléments d’un langage pictural élaboré.
[1]« …figuration in the most accepted sense , it’s been extremely week and really meaningless », FB p 179.
[2] Ibid.
[3] Ibid., p. 167.
[4] Comme Deleuze dans Logique de la sensation bien que le dilemme de Bacon ne lui ait nullement échappé, comme le montrent certains passages du livre, parmi les plus intéressants à mon sens.
[5] Interview with FB, op. cit., p. 65.
[6] Interviews with Francis Bacon, op. cit., p. 66
[7] Interviews with FB, op. cit., p. 60
[8] Interviews with Francis Bacon, op. cit., p. 28.
[9] « The equivalent of the appearance », Interview with FB, op. cit., p. 118.
[10] « Je veux saisir une apparence sans que cela ait un caractère illustratif. » (Michael Peppiat, p. 35).
[11] Interviews with FB, op. cit., p. 105.
[12] « the illustrative facts of the image », Interviews with Francis Bacon, op. cit., p. 105.
[13] Interviews with FB, op. cit., p. 161
[14] « The hinges of form come about by chance seem to be more organic and to work more inevitably », Interviews with FB, op. cit., p. 120.
[15] Interviews with FB, op. cit., p. 58.
[16] Interviews with Francis Bacon, p 12
[17] John Russell, op. cit., p. 47.
[18] Deleuze qualifie d’ « extrême » le cas des figures supérieures du tableau.
[19] Interviews with FB, op. cit., p. 58.
[20] S’ils étaient « objectifs », « ne devraient-ils pas aboutir à des résultats similaires ? Or il n’en est rien. Il faut donc en conclure à la subjectivité de leur réalisme, Journal (12 novembre 1965), p. 606-607.
[21] Interviews with Francis Bacon, p. 121.
[22] » there’s no point in doing a portrait of somebody if you’re not going to make it look like him. » Interviews with Francis Bacon, op. cit., p. 146
[23] « I want to make it like but I don’t know how to make it like » (« je veux le faire ressemblant mais je ne sais pas comment le faire ressemblant », sous-entendu : sans imiter) Interviews with Francis Bacon, op. cit., p. 148.
[24] Interviews with Francis Bacon, op. cit., p. 105.
[25] Interviews with Francis Bacon, op. cit., p. 57 (« This may have to do with how facts themselves are ambiguous, how appearences are ambiguous, and therefore this way of recording form is nearer to the fact by its ambiguity of recording. » Dans le premier entretien avec Sylvester, il associe cet aspect à la précision, évoquant « a very ambiguous precision, Interviews with Francis Bacon, p 13.
[26] Ibid., p. 170.
[27] Ibid., p. 107 : « Je ne cherche pas à employer ce qu’on appelle des techniques d’avant-garde. La plupart des gens de ce siècle qui ont quoi que ce soit à voir avant l’avant-garde ont voulu créer une technique nouvelle, ce que moi je n’ai jamais voulu. »
[28] C’est le cas par exemple dans la Crucifixion de 88.
[29] « …how can I make that slightly furry quality of a flannel suit? And then I suddenly though : well, I’ll get some dust. And you can see how near it is too a decent gray flannel suit » Interviews with Francis Bacon, Thames & Hudson, p. 192. (« Je me suis dit : »Comment est-ce que je vais rendre le côté légèrement fourrure d’un costume de flanelle ? ». Et d’un coup je me suis dit : » Je vais prendre de la poussière ». Et vous pouvez voir à quel point c’est proche d’un costume de flanelle grise correct. », trad. fr. citée, in Francis Bacon, éditions du Centre Pompidou, 1996, p. 15.
[30] Interviews with Francis Bacon, p. 61-62.
[31] Interviews with Francis Bacon, p. 122 : « it’s only your critical sense that can select it. So that your critical faculty is going on the same time as the sort of half-unconscious manipulation – or very unconscious, generally, if it works at all. »
[32] La peinture de Bacon est si peu spontanée que les jets de peinture eux-mêmes se retrouvent presque à l’identique dans les études constituant une série, comme les corridas de 1969. Les commissaires de l’exposition du centenaire à la Tate font remarquer que « la répétition en série d’un geste spontané » éclaire autrement l’usage que Bacon fait du hasard : un outil et non la libération du contrôle de la conscience. (p. 25, je traduis et résume).
[33] Logique de la sensation, op.cit., p. 12.
[34] Cf. Philippe Sollers : « Pas de modèle en présence du peintre, ce vieux truc ne fonctionne plus. La réalité n’est pas là. La photographie peut intervenir comme un excitant, mais impossible d’y croire désormais, et pour cause » (Les Passions de Francis Bacon, p. 64). Or Bacon ne rejette jamais le modèle par principe. Il ne prétend nullement théoriser cette pratique. Il constate simplement que la présence du modèle le gêne, lui : « Je sens beaucoup plus libre quand je suis seul, mais je suis persuadé qu’il y a bien des peintres qui seraient plus inventifs s’ils étaient entourés. Ce n’est pas mon cas. Je trouve que, si je suis tout seul, je peux laisser la peinture me dicter. » (« I can allow the paint to dictate to me », Interviews with Francis Bacon, p. 194)
[35] À Hugh Davis, cité (avec ces coupures) par Jean-Claude Lebensztejn, in Francis Bacon, éditions du Centre Pompidou, 1996, p. 43.
[36] Le narrateur de la Recherche en fait l’amère expérience, cf. À l’ombre des jeunes filles en fleurs, A la Recherche du temps perdu, Bibl. de la Pléiade, I, p 565.
[37] « Le Cercle et le Cri », op. cit. Sur la question de la référence et de la ressemblance, je me permets de renvoyer à la 3e partie de mon livre, La Figure du Monde (op. cit.)
[38] « Si, je fais au pinceau une esquisse grossière sur la toile, juste un vague contour de quelque chose, puis je me mets au travail en utilisant en général de très gros pinceaux… », entretien avec David Sylvester, Repères n °39, p 32.
[39] Ce qui n’empêche évidemment pas de répéter que l’art de Bacon est « un art de spontanéité et d’improvisation, sans planification ni dessin préalable » cf. Lebensztejn, Francis Bacon, édition du Centre Pompidou, p. 50. Encore une « victime » de Bacon, comme aurait dit Diderot… Il existe de toute façon des croquis de Bacon (voir p. 234 et 236 du même ouvrage).
[40] Francis Bacon, edited by Matthew Gale and Chris Stevens, p. 25.